La publicité n’a pas son pareil pour mettre en scène des produits a priori sans grand charme. Rio Mare en a fait sa spécialité: difficile de résister à ce splendide filet de thon tout juste démoulé de sa boîte, qui se sépare en délicats morceaux sous la pression d’un grissino. Tombée sous le charme, une lectrice d’Uvrier (VS) a rapidement dû déchanter: tout comme la plupart de ses concurrentes, les conserves de Rio Mare ne contiennent rien d’autre qu’un agrégat de miettes de thon indifférenciées. Présenté démoulé sur un plat, le résultat tient plus de la pâtée pour chats que du mets de gourmets. Inutile de songer à le dresser, tel quel, sur une table en compagnie d’invités.
Mauvaise pioche? Pour en avoir le cœur net, Bon à Savoir s’est procuré trois boîtes de thon Rio Mare à l’huile d’olive. Et le constat est sans appel: le contenu n’a rien à voir avec le visuel de présentation qui trône sur les emballages. Impossible d’y discerner un seul morceau rappelant un tant soit peu les nervures d’un filet de thon.
Flirt avec la légalité
Propriétaire de la marque, l’entreprise Bolton Alimentari ne conteste pas le problème, bien au contraire: «Nous devons chercher un compromis entre tendreté du poisson, niveau de cuisson, dimension des filets, format des boîtes et rapidité pour les remplir», explique-t-elle. Pour arriver à un résultat esthétique, nous devons utiliser des filets fermes et compacts. En fonction du type de poisson que nous attrapons, ce n’est pas toujours possible». Et la marque de s’abriter, ensuite, derrière la fameuse mention en petits caractères qui accompagne presque tous les visuels des produits alimentaires: «Comme indiqué sur l’emballage, les images ne sont qu’une suggestion de présentation».
Par quel miracle pourrait-on réarranger les miettes de thon pour leur donner l’apparence des morceaux que l’on retrouve sur la boîte? Mystère. Difficile, ici, de ne pas y voir une tromperie. «Dans le cas présent, la photo paraît clairement contraire à l’ordonnance sur les denrées alimentaires» (ODAIOUs), avance d’ailleurs l’une des juristes de Bon à Savoir. Cette ordonnance stipule clairement que les illustrations qui figurent sur les emballages doivent «correspondre à la réalité et exclure toute possibilité de tromperie quant à la nature et au contenu de la denrée alimentaire en question».
Mais dans les faits, son application est difficile. Comme nous l’avons montré par le passé (Des emballages trompeurs, mais qui respectent la légalité, Bon à Savoir n°5/2013), quantité de produits flirtent allègrement avec la loi sans risquer grand-chose: «La charge du contrôle échoit aux laboratoires cantonaux», nous expliquait en 2013 Otmar Deflorin, président de l’Association des chimistes cantonaux. Et les autorités d’exécution ne se prononcent pas sur la conformité des étiquettes à la demande de tiers ou des médias: «Si un produit ne répond pas aux exigences légales, le chimiste cantonal compétent intervient directement auprès de l’entreprise concernée». Autrement dit, les producteurs qui ne respectent pas la loi sont discrètement rappelés à l’ordre par les autorités. Et les consommateurs, eux, sont laissés dans l’ignorance.
De la bonite vendue à prix d’or
A l’heure de choisir sa boîte de thon en conserve, il est donc inutile de miser sur un prix élevé pour espérer tomber sur un produit qui présente bien: à titre d’exemple, le Thon rosé MClassic coûte ainsi 12.26 fr. le kilo; son homologue Rio Mare Thon au naturel atteint lui 35.27 fr. le kilo, soit près de trois fois plus. Tous deux contiennent pourtant exactement la même espèce de poisson, l’une des moins chères du marché (lire à ce sujet notre article Manger du thon sans vider l’océan, Bon à Savoir n°11/2014): Katsuwonus pelamis, la bonite à ventre rayé… qui ne fait, d’ailleurs, même pas partie du genre biologique des thons!
Vincent Cherpillod