«Le temps où les conducteurs suisses pouvaient descendre dans le sud de la France, en roulant à tombeau ouvert et en toute impunité est bel et bien révolu», prévient Guillaume Etier, membre du Réseau des avocats de la route. Récemment encore, les amendes n’étaient généralement pas envoyées en Suisse. Et, lorsque cela se produisait, elles pouvaient être déchirées sans grand risque. Ce n’est plus le cas: Guillaume Etier cite l’exemple récent d’un automobiliste genevois auquel l’Office cantonal des véhicules veut retirer le bleu parce qu’il a été pincé avec 0,8‰ d’alcool de l’autre côté de la frontière! Un nouvel article (16 Cbis), ajouté en 2008 à la loi sur la circulation routière (LCR) autorise, en effet, une telle décision après une infraction commise hors de Suisse, à condition qu’une interdiction de conduire ait été prononcée à l’étranger et que la faute commise soit qualifiée de moyennement grave ou grave, selon la LCR.
Etroite collaboration franco-suisse
En fait, la France et la Suisse coopèrent désormais étroitement sur la base d’un accord sur les infractions routières, entré en vigueur en juillet 2009. L’article 47 al. 1 de ce document prévoit même une entraide pour l’exécution des décisions d’amende. Si un Helvète ignore les sommations de payer envoyées par la France, nos voisins peuvent alors demander à nos autorités de se charger, via la police, du recouvrement, et vice versa. Diablement efficace! «Il faut toutefois que quatre conditions soient remplies», précise Alexander Rechsteiner, porte-parole de l’Office fédéral de la police. L’amende doit se monter à 70 € ou à 100 fr. au minimum, la demande se limiter au recouvrement d’une somme d’argent, la décision être non prescrite et la personne pénalement responsable.
Avec nos autres voisins
Toutefois, la collaboration avec nos autres voisins reste, pour l’heure, plus limitée. De manière générale, «la Suisse peut transmettre les identités des détenteurs de véhicules ayant commis une infraction routière à tous les pays européens, et inversement», poursuit Alexander Rech steiner. Les contraventions peuvent également être envoyées directement aux conducteurs. En revanche, à l’exception de la France et de l’Allemagne, il n’y a pas d’échange automatisé des données permettant d’identifier un conducteur de l’autre pays par le biais d'internet. Il faut donc faire une demande à chaque fois, ce qui est plus fastidieux. Hormis la France, il n’y a pas non plus d’entraide pour l’exécution des décisions d’amendes. Un tel accord existe bien avec l’Allemagne, «mais, dans les faits, il n’est pas appliqué», souligne Guido Bielmann, porte parole de l’Office fédéral des routes (Ofrou).
Cette situation est, cependant, susceptible d’évoluer. Le Parlement doit, en effet, poursuivre durant le premier semestre de cette année l’examen d’un nouvel accord de coopération policière incluant une assistance en matière de recouvrement avec l’Autriche et le Liechtenstein. Si tout se passe bien, il pourrait entrer en vigueur avant la fin de l’année.
Gare aux amendes non réglées!
Résumons-nous: les autorités étrangères peuvent envoyer directement en Suisse, par voie postale, les amendes aux automobilistes contrevenants. Cependant, à l’exception de la France, la Suisse n’interviendra pas si le contrevenant ne s’acquitte pas de la contredanse.
Faut-il dès lors parler d’une impunité de facto? Non, car certaines collectivités publiques font désormais appel à des sociétés de recouvrement, même pour des contredanses mineures (lire encadré). Il faut se souvenir également que l’Etat concerné peut prendre des mesures lorsqu’une contravention n’a pas été réglée: inscription sur le fichier national, frais de sommation élevés, interdiction d’entrée, etc. En cas de retour dans ce pays, «le conducteur incriminé pourrait être arrêté, afin qu’il s’acquitte directement de son amende ou son véhicule pourrait être séquestré jusqu’au paiement dû», met en garde l’Office fédéral de la police. «Généralement, nous conseillons toujours de s’acquitter des amendes si l’infraction n’est pas contestée. Cela permet d’éviter ce genre de désagréments», conclut le Touring Club suisse.
Sébastien Sautebin
Les sociétés de recouvrement mettent la pression
A l’étranger, il est arrivé à certains d’entre nous de jeter une amende de parking déposée sur le pare-brise, persuadés que les autorités locales ne traqueraient pas un étranger. Cela arrive pourtant! Un lecteur vaudois s’est ainsi vu réclamer récemment la somme de 89 fr., par Creditreform, une agence de recouvrement possédant une succursale à Lausanne. La raison? Il n’avait pas payé une amende de stationnement de 50 € un an et demi plus tôt à Amsterdam! Après avoir reçu un rappel, qui a fait passer le montant demandé de 89 fr. à 127.20 fr., notre lecteur a préféré éviter un bras de fer et a réglé la facture.
Directeur du bureau romand de Creditreform, Eric Girod confirme que la cité hollandaise mandate son entreprise, mais garde le silence sur le nombre de cas traités et d’éventuels autres clients. A partir du numéro de plaque, la société de recouvrement a tout simplement obtenu l’identité du détenteur du véhicule auprès du Service des automobiles et de la navigation vaudois (SAN). Le SAN explique qu’il fournit effectivement ces informations à toute personne qui en fait la demande écrite, contre émolument, sauf lorsque le détenteur a expressément demandé que ses données soient protégées.
Il est extrêmement difficile d’évaluer l’importance du phénomène en Europe, mais il est clair que le cas n’est pas isolé. Des villes hollandaises, norvégiennes et suédoises, Londres ou encore Milan et Florence auraient notamment recours à des sociétés privées de recouvrement pour tenter de récupérer les montants dus. Cette voie efface l’obstacle que constituerait l’envoi direct d’une contredanse dans la langue de l’automobiliste étranger. C’est aussi un moyen de pression directe plutôt efficace, puisque certains automobilistes vont régler le montant exigé par crainte d’être mis aux poursuites.