Le bon goût du pain, la saveur d’une viande grillée ou l’arôme du café sont dus au même phénomène: la réaction de Maillard. Lors de la cuisson à haute température, de savoureuses substances aromatiques sont libérées. Transformation chimique qui n’a pas que des atouts, puisqu’elle entraîne aussi la production de substances toxiques.
Maillard, pionnier de la chimie culinaire
C’est en 1911 que le chimiste français Louis-Camille Maillard découvre que les acides aminés (protéines), portés à haute température avec du sucre, brunissent et créent un composé chimique spécifique. Cette réaction produit des arômes et du croustillant très appréciés. C’est ainsi que la croûte du pain a plus de saveur que la mie, qu’une viande est plus goûteuse grillée que bouillie et que les frites sont plus addictives que les pommes nature.
Mais Maillard et la réaction qui porte son nom tombent vite dans l’oubli. Ses travaux ne refont surface qu’après-guerre, aux Etats-Unis, avec l’essor de l’industrie agroalimentaire. On constate que la maîtrise de ce phénomène permet de contrôler le goût, l’aspect, la couleur et la conservation des aliments. En variant les différents paramètres de Maillard (température, humidité, types de sucre, etc.), on peut obtenir des résultats extrêmement différents.
Le revers de la médaille
Dans le monde médical, la réaction de Maillard se nomme «glycation» et les substances produites par le brunissement sont les «AGE» (Advanced Glycation End-product). Ces résidus toxiques sont multiples. Citons principalement, l’acrylamide, présente dans les aliments d’origine végétale (chips, frites, biscuits, pain, café, etc.) ainsi que les amines hétérocycliques et les hydrocarbures aromatiques polycycliques qui se forment à la surface des viandes ou des poissons lors de cuissons à haute température.
Une alimentation trop riche en AGE contribue au vieillissement accéléré des artères, favorisant rigidité des vaisseaux et hypertension artérielle. Les conséquences ne sont pas bénignes: augmentation des facteurs de risques de maladies cardiovasculaires, problèmes rénaux, cataracte, démences et on en passe. De plus, il est avéré que l’acrylamide dans l’alimentation augmente potentiellement le risque de développement d’un cancer. Du fait de leur faible poids, les enfants sont du reste les plus exposés.
La Suisse à la traîne
La prudence est donc de mise. C’est pourquoi, le 19 juillet dernier, les membres de l’UE se sont mis d’accord pour réduire la présence de l’acrylamide dans les aliments. Les industriels auront l’obligation d’appliquer des mesures pour réduire sa présence dans leurs produits. Un règlement devrait entrer en vigueur en 2018. Pratiquement, il s’agira pour les fabricants de chips et de frites, par exemple, de sélectionner des variétés de patates faibles en glucides, d’améliorer les méthodes de conservation et de cuisson. Sont aussi concernés les producteurs industriels de biscuits salés et sucrés, gâteaux, pain, corn- flakes, café, etc. Idem pour les chaînes de fast-foods et les restaurants. En Suisse, rien ne laisse encore présager un alignement sur nos voisins!
Les consommateurs aussi impliqués
S’il est impossible d’éliminer totalement les AGE, on peut s’efforcer d’en réduire les quantités. Voici quelques conseils.
⇨ Préférer la cuisson à l’eau ou à la vapeur, sachant que la réaction de Maillard n’aime pas l’humidité.
⇨ Limiter la durée et l’intensité de la cuisson. Par exemple, en retournant souvent la viande plutôt qu’en la laissant cuire longtemps sur une face.
⇨ Dorer légèrement les aliments et éliminer les parties noircies.
⇨ Limiter la consommation de fritures et de grillades. Ne pas chauffer l’huile à plus de 170° C. Pour les barbecues, faire mariner la viande avec de la bière et éviter le contact avec les flammes.
⇨ Respecter les indications des fabricants au sujet de la durée et de la température de cuisson.
⇨ Ne pas stocker les patates au frigo; une fois coupées, les faire tremper 20 minutes dans une eau citronnée.
⇨ Adopter une alimentation riche en fruits et en légumes.
Doris Favre, diététicienne diplômée