Au rayon conserves des magasins, les boîtes de maïs, de raviolis, de thon ou de sardines s’alignent les unes à la suite des autres. Un intrus, pourtant, est presque toujours caché au milieu du lot: il s’agit des semi-conserves, qui doivent être gardées au frais et consommées dans les six mois, car leur contenu n’est pas stérilisé.
A la différence des boîtes de conserve traditionnelles, les aliments conditionnés en semi-conserve ne sont pas chauffés jusqu’à destruction des micro-organismes pathogènes. Cela afin d’éviter que les produits qui ne supportent pas une trop haute température se désagrègent. Les anchois sont les premiers concernés: ces petits poissons fragiles semblent être les seuls à ne pas supporter le traitement thermique auquel sont soumis leurs congénères avant d’être empaquetés.
Au chaud dans les rayons
Il faut être particulièrement attentif pour se rendre compte de la différence. Car, au lieu de l’habituelle mention «A conserver au frais après ouverture», les boîtes d’anchois portent la note suivante: «Semi-conserve. Conserver au frais/au frigo après achat et consommer rapidement». L’indication est paradoxale puisqu’elles passent plusieurs semaines à température ambiante dans les rayons des distributeurs! Certaines enseignes que nous avons contactées sont peu renseignées sur le sujet: Globus a botté en touche en affirmant, par écrit, ne pas vendre de produits de ce genre. Or, nous avons bel et bien trouvé des filets d’anchois en semi-conserve dans ses rayons! Migros et Denner, de leur côté, ne parviennent pas à élucider la contradiction, mais se montrent rassurants: ils confirment, en effet, que la température optimale de conservation des anchois se situe entre 5°C et 12°C, soit idéalement au frigo, mais ne trouvent rien à redire quant à leur stockage en magasin à température ambiante… De surcroît, ils ajoutent que «même conservés à cette température, ils peuvent être consommés jusqu’à la date limite en toute sécurité».
Porte ouverte à l’histamine
Placer les anchois au frais serait donc optionnel? L’affirmation ne convainc pas André Cominoli, chimiste cantonal adjoint du canton de Genève. Il existe, selon lui, un risque accru de contamination à l’histamine, substance responsable de plusieurs cas d’intoxication alimentaire ces dernières années. «Les conserver à température ambiante n’est pas forcément une bonne idée. L’expérience l’a prouvé. La formation d’histamine sera plus rapide qu’à température réfrigérée.» (Lire encadré.)
Son avis est corroboré par un rapport de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), publié à la fin de 2013, qui précise que la température optimale pour la formation des amines biogènes – dont fait partie l’histamine – se situe entre 20°C et 37°C. Les rayons d’un magasin à 20–22°C sont donc dans la fourchette! Le rapport précise encore que la plupart des cas d’intoxication à cette substance sont dus à des poissons mal conservés.
En 2005, une analyse effectuée par le Laboratoire cantonal de Berne a, par exemple, permis d’identifier deux semi-conserves d’anchois dont le taux d’histamine dépassait la valeur légale. L’enquête qui a suivi a montré qu’un point de vente n’avait pas respecté les conditions de réfrigération. Plus récemment, Migros et Manor ont dû rappeler des boîtes d’anchois pour un problème de contamination similaire, en mai, novembre et décembre 2013 (lire notre Actu online du 18.12.2013 «Trop d’histamine dans le poisson»).
André Cominoli insiste: «Si un rappel de marchandise a lieu, c’est bien que les conditions de stockage avant achat n’ont pas été optimales. A mon avis et par principe de précaution, la température de stockage des boîtes d’anchois devrait être contrôlée de la fabrication à la remise aux consommateurs, par exemple à 5°C.»
A l’heure actuelle, le droit alimentaire ne fixe pas de température maximale pour la conservation des semi-conserves. Si l’OFSP déclare suivre de près l’évolution de la situation, elle ne prévoit pas d’introduire de nouvelles règles, en dépit des conclusions inquiétantes de son dernier rapport sur l’histamine…
Vincent Cherpillod
DÉCODAGE
Les dangers de l’histamine
L’histamine est une molécule présente naturellement dans les tissus de nombreux animaux, humains compris. Elle devient problématique lorsqu’elle dépasse une certaine concentration, à la suite de l’ingestion, par exemple, d’une produit en contenant une forte dose.
La température de conservation des aliments est cruciale, car, dans des conditions favorables, elle provoque la transformation de l’histidine en histamine. Cette dernière peut alors engendrer des symptômes similaires à une allergie: rougeurs, démangeaisons, détresse respiratoire, voire choc anaphylactique. Ceux-ci surviennent rapidement après son ingestion – 30 minutes ou moins – et disparaissent environ trois heures plus tard. Les cas les plus graves peuvent nécessiter une hospitalisation.