Depuis le début de l’année, pas moins de huit rappels d’épices se sont succédé chez nos voisins européens. Avec une cause identique: la présence de substances allergènes non déclarées – amandes ou arachides – dans le produit. Ce nouveau scandale alimentaire ne se limite pas au Vieux-Continent: aux Etats-Unis, on relève quatre cas similaires depuis le 1er avril dernier. Afin de déterminer si la Suisse est, elle aussi, touchée, Bon à Savoir, en partenariat avec l’émission de la RTS On en parle a fait analyser dix-huit épices en poudre vendues dans les grandes surfaces par le Laboratoire Bio-smart, à Berne. Objectif: traquer les traces d’amandes et de cacahuètes dans les échantillons, au moyen de la méthode d’analyse dite «ELISA».
Sur les emballages de nos épices (16 préparations de paprika et 2 de cumin en poudre), nulle mention de la présence d’allergènes, à l’exception du paprika de Denner, qui en liste six – mais pas l’arachide. Et pourtant: les experts de notre laboratoire ont retrouvé, dans quatre articles, des traces de cacahuètes: le Paprika Doux de Denner justement, le Bio paprika hongrois de Coop ainsi que les Paprika fort et Cumin moulu de Globus. Soit plus de 20% de notre échantillon!
«Ces résultats sont inquiétants»
Confronté à nos résultats, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) ne s’alarme pas, car la norme légale suisse est largement respectée: les allergènes ne doivent être déclarés que lorsque leur teneur atteint 1000 mg/kg du produit concerné. Avec des quantités comprises entre 2,6 et 4,7 mg/kg, nos quatre échantillons fautifs sont donc bien en deçà. Mais peuvent-ils tout de même poser problème à une personne fortement allergique? Oui, répond sans aucune ambiguïté David Spoerl, chef de clinique à l’Unité d’allergologie des HUG: «Ces résultats sont inquiétants, d’autant plus qu’il s’agit d’arachide, l’allergène par excellence. Des doses infimes suffisent. Parfois, il n’est même pas nécessaire d’en ingérer: un baiser sur les lèvres de quelqu’un qui en a consommé peut suffire à provoquer une réaction anaphylactique chez les personnes les plus sensibles. Celle-ci peut ensuite affecter des organes vitaux, dans le pire des cas.»
Même des traces devraient être signalées
Chez les grands distributeurs concernés, on ne s’explique pas comment des cacahuètes ont pu s’inviter dans leurs épices. Selon Coop et Denner, leurs fournisseurs ne traitent, d’ailleurs, pas d’arachides dans leurs locaux. Denner se réfugie derrière la norme légale et déclare n’envisager aucune mesure pour éviter que ce problème ne se représente. Coop, quant à elle, a procédé à une contre-analyse sur les produits en question, qui a confirmé nos résultats. Mais elle ne compte pas, pour l’heure, procéder au rappel du Bio Paprika hongrois. Selon le grand distributeur, la teneur en cacahuètes que nous avons mesurée se situe bien en deçà du seuil de déclenchement d’une réaction allergique, estimé à 0,2 mg par repas pour l’arachide.
Nadège Müller, diététicienne diplômée au Service nutrition de l’Hôpital neuchâtelois (HNE), conteste cet argument: «Le seuil à partir duquel le patient peut sentir la présence de l’allergène et être en danger après son ingestion est très variable.» Le chiffre de 0,2 mg retenu par les spécialistes correspond, en effet, à la quantité en dessous de laquelle 99% des personnes allergiques ne développent pas de réaction. Or, les deux spécialistes sont formels: il arrive que des personnes soient sensibles à des taux bien inférieurs. «Un patient peut, par exemple, réagir à la suite de l’ingestion d’un aliment contaminé par des ustensiles qui ont servi à la préparation d’un mets contenant l’allergène. La présence de traces, même infimes, devrait donc être mentionnée sur l’emballage», conclut Nadège Müller.
Seul Globus retire ses produits des rayons
Pour protéger non pas 99% mais 100% de la population allergique, un principe de tolérance zéro est déjà appliqué dans l’Union européenne: les produits sont retirés du marché dès qu’il y a détection d’allergènes non déclarés, quelle que soit la quantité mesurée. En mars dernier, un lot de pili-pili en poudre ne contenant qu’1,7 mg/kg d’arachides a, ainsi, été retiré du marché en Belgique.
A la suite de notre test, seul Globus a pris ses responsabilités en retirant ses deux articles incriminés des rayons. Du côté de Coop, de Denner et des chimistes cantonaux, rien ne bouge: on se montre peu pressé d’appliquer le principe de précaution. Et la situation ne semble pas prêt de changer: selon le collaborateur scientifique de l’OSAV Urs Stalder, il serait, ainsi, difficile de fixer plus bas que 1000 mg/kg la limite au-delà de laquelle un allergène doit être déclaré sur l’étiquette, car de tels seuils seraient impossibles à assurer par l’industrie!
Vincent Cherpillod / Carole Despont