Edmond Lugeon a trouvé la nouvelle offre de Sanitas «bizarre». Réservée aux clients qui ont une couverture privée, la «Priority Access» leur permet de se rendre chez un spécialiste dans les trois jours. Mais, pour profiter de ce privilège, ils doivent passer par un conseiller de l’assureur qui se charge lui-même d’organiser le rendez-vous.
Notre lecteur s’étonne d’un tel procédé et en parle à son médecin de famille. Ce dernier informe alors Karim Boubaker, médecin cantonal vaudois, qui est tout aussi interloqué. Pour lui, ce genre de produits n’est visiblement pas compatible avec la loi sur la protection des données. Il oblige, en effet, l’assuré à passer par un conseiller, qui n’est pas nécessairement un professionnel du milieu médical. Celui-ci peut ainsi récolter des informations personnelles et sensibles sur l’état de santé de l’assuré, ce qui est contraire au principe de proportionnalité qui exige que, seules, les données nécessaires soient récoltées.
Dans le même esprit que Sanitas, l’assureur Helsana propose le système «Fast Track» à ses assurés en divisions privée et semi-privée. Cette offre permet d’obtenir un accès rapide à un ophtalmologue, à un orthopédiste ou à un autre spécialiste. Mais, là aussi, il faut appeler un employé de la compagnie qui se chargera d’organiser lui-même une première consultation dans les plus brefs délais.
Légal, mais délicat
Les nouvelles offres de Sanitas et d’Helsana sont-elles dès lors en accord avec la loi? Interpellé par le médecin cantonal vaudois, le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence PFPDT précise qu’il s’agit d’assurances complémentaires appartenant au domaine privé. Elles sont donc soumises aux conditions de la loi sur le contrat d’assurance (LCA) et non pas à celles de la loi sur l’assurance maladie (LAMal) (lire encadré).
Par conséquent, l’assuré est libre d’accepter ou non les conditions qui sont propres au produit suggéré. Mais, du moment qu’il signe, il donne son consentement à une transmission de ses données. Et le problème est justement là: comment être certain que ces informations ne vont pas lui porter préjudice?
Le préposé fédéral à la protection des données estime, en effet, que le principe de proportionnalité risque bien de ne pas être respecté. Alors que le conseiller personnel est tenu de ne transmettre que les renseignements strictement nécessaires – et pour lesquels l’assuré a donné son accord – il est possible qu’il en dise davantage à l’assureur. Résultat: le client peut soudainement être considéré comme un mauvais risque et voir, notamment, ses primes augmenter.
Liberté individuelle
En réponse à ces critiques, les deux compagnies d’assurance garantissent qu’elles respectent entièrement les dispositions légales, le client est alors libre d’accepter les conditions, de tenter de les négocier ou de passer son chemin. Helsana souligne que «Fast Track» est une prestation facultative et que le client garde un «contrôle total» sur sa mise en relation avec l’assureur, tout en décidant lui-même de la teneur et de l’ampleur de ce qu’il veut lui divulguer. Et Sanitas indique que les clients décident s’ils veulent bénéficier ou non de la «Priority Access» et qu’ils communiquent ce qu’ils souhaitent sur leur état de santé.
Les assurés qui acceptent ces règles du jeu ont donc tout intérêt à bien mesurer ce qu’ils communiquent au conseiller pour ne pas être inutilement pénalisés par la suite.
Marie Tschumi
Dans le détail
Lois distinctes
L’assurance maladie obligatoire et l’assurance complémentaire sont tenues de respecter la loi sur la protection des données (LPD). Mais ce n’est pas pour autant qu’elles ont la même réglementation. L’assurance de base est régie par la loi sur l’assurance maladie (LAMal). Les caisses ne peuvent pas exiger qu’on réponde à des questionnaires de santé. Car elles ont l’obligation d’accepter toute personne sans réserves et sans délai d’attente, quel que soit son âge et son état de santé.
En revanche, les assurances complémentaires sont soumises à la loi sur le contrat d’assurance (LCA) . Aussi l’assureur peut exiger un questionnaire de santé, émettre des réserves ou même refuser une demande d’adhésion. Libre ensuite à l’assuré de signer ou non le contrat proposé. Par ailleurs, contrairement à la LAMal, l’assurance complémentaire n’a pas besoin d’une base légale pour traiter des données personnelles: ce sont les deux parties qui se mettent d’accord et l’assuré donne ou non son consentement au moment de conclure le contrat.