Au début de l’année, certains médias ont relayé les conclusions d’une étude américaine pour le moins inquiétante: il faudrait manger 100 pommes actuelles pour obtenir autant de vitamine C qu’avec une seule pomme récoltée en 1950. Idem avec les oranges, de nos jours, qui auraient 21 fois moins de vitamine A que celles de 1950. Et ainsi de suite pour la teneur en fer, en zinc et en calcium de divers aliments.
Des études contradictoires
A l’origine, c’est une étude britannique, publiée en 1997, qui a alarmé les milieux nutritionnels. L’analyse de 40 fruits et légumes concluait que, à part le phosphore, tous les minéraux avaient diminué entre 1930 et 1980. Les résultats de ces analyses, dévoilés en 2002 par la chaîne canadienne CTV News sur l’évolution de la teneur en vitamines des fruits et des légumes entre 1951 et 1999, étaient plus contrastés. Certaines valeurs nutritives s’étaient certes effondrées, à l’image de la vitamine A qui avait disparu de l’oignon et de la pomme de terre. En revanche, la carotte et le poivron rouge en ont davantage qu’autrefois. La vitamine C, elle, est deux fois moins importante qu’avant dans la pomme de terre, mais sa quantité a doublé dans le raisin. Enfin, presque tous les aliments analysés ont plus de vitamine B3 que par le passé.
Pour en avoir le cœur net, la Société suisse de nutrition (SSN) a mené ses propres recherches en 2004. Elle a retenu sept légumes et cinq fruits les plus consommés pour analyser leur teneur en neuf minéraux et onze vitamines. Comme base de référence, elle a pris en considération les valeurs recueillies par trois banques de données entre 1953 et 2002. Résultats: les légumes actuels ont perdu 57% de cuivre, 30% de vitamine B2, 28% de magnésium et 22% de vitamine C. Dans les fruits, la SSN a constaté une baisse de 3% de magnésium, mais une augmentation de 168% d’acide folique et de 19% de vitamine C. Dans ses conclusions, la SSN se montre étonnamment optimiste: il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter, car les fruits et les légumes d’aujourd’hui seraient aussi sains qu’avant.
Disparités dans les chiffres
Derrière cet optimisme se cachent deux explications. Primo, la fiabilité des chiffres a beaucoup évolué. Les méthodes utilisées en 1950 n’étaient pas aussi précises que celles de maintenant. Les analyses pouvaient parfois se baser sur un seul échantillon de fruit ou de légume, alors que la teneur en vitamine C dépend de sa variété: une pomme Gala contient en moyenne 3 mg de vitamine, alors qu’une Braeburn en affiche 30. La valeur nutritive d’un fruit ou d’un légume dépend aussi de son degré de maturité à la récolte, de sa position (exposition au soleil) ou encore des conditions climatiques de l’année prise en compte. Secundo, d’importantes différences apparaissent d’une banque de données à l’autre pour un même aliment. A ce titre, les valeurs choc de l’étude américaine ne sont pas corroborées par celles de la SSN.
Cultures décriées
D’autres spécialistes pointent du doigt le mode de culture. Une agriculture intensive, qui fait la part belle aux fertilisants et aux herbicides, accélère la vitesse de croissance, ce qui ne laisserait pas le temps à la plante de fixer suffisamment de micronutriments.
A cela s’ajoutent les critères de sélection des plantes qui sont essentiellement basés sur leurs qualités de rendement, de présentation et de conditionnement. Hélas, leurs qualités nutritionnelles n’entrent pas encore en ligne de compte.
Il faut néanmoins relever que les conditions d’entreposage ont évolué dans le bon sens. Ainsi, les pommes conservées sous atmosphère contrôlée ont pratiquement autant de vitamine C après cinq mois qu’au moment de la récolte. En chambre froide, il ne leur en reste plus que 30%!
Actuellement, les Suisses ne consomment que trois portions de fruits et de légumes par jour. Il reste donc du chemin à faire pour atteindre les cinq unités recommandées. Afin de ne pas perdre de nutriments, on veillera à choisir des aliments de saison cueillis à maturité et à les consommer le plus rapidement possible. Et, comme le rappelle la SSN, les fruits et les légumes ne sont pas la seule source de vitamines et de minéraux. Il suffit d’une alimentation variée et équilibrée pour que nos besoins soient couverts.
Doris Favre, diététicienne diplômée.