Difficile d’avoir la conscience tranquille au moment d’ouvrir une boîte de thon ou de pousser la porte d’un restaurant de sushis. Car le thon rouge est en voie de disparition: celui de l’Atlantique est considéré comme étant «en danger» par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Son congénère du Sud est même classé «en danger critique d’extinction». Cette dernière espèce aurait perdu plus de 85% de ses individus en l’espace de 36 ans! Des quotas de pêche ont été instaurés en 1996 pour éviter sa disparition totale, mais le thon rouge n’a pas quitté pour autant la catégorie des espèces menacées.
Dès lors, faudrait-il se passer de thon? Inutile d’aller jusque-là: il en existe en effet 15 espèces différentes et toutes ne sont pas menacées. Mais comment savoir si celui qu’on retrouve dans son assiette est en voie de disparition? Bon à Savoir a mené l’enquête dans les supermarchés et les traiteurs de sushis de Suisse romande. Première surprise: pas la moindre nageoire de thon rouge à l’horizon, ni dans les rayons des magasins ni sur les boulettes de riz à sushi.
Le thon rouge vire au jaune
«Huitante pour cent des thons rouges pêchés dans la Méditerranée et l’Atlantique sont exportés vers le Japon, le reste vers les Etats-Unis, explique Marc Durst, de Sushi Mania, un traiteur qui fournit notamment les grands magasins Manor. Il est rare de trouver du thon rouge dans les restaurants de sushis européens, même les plus chers.» Les lamelles de poisson, pourtant rouges, sont la plupart du temps découpées dans du thon jaune (ou thon albacore). Même au Japon, patrie du sushi, les restaurants bon marché ont remplacé la variété rouge par d’autres espèces, principalement le thon obèse. Seuls les meilleurs en ont encore à leur carte.
Cette information ne fera pas l’affaire des gourmets: selon Marc Durst, la saveur d’un thon rouge est inégalable. Ecologiquement parlant, elle est en revanche salutaire pour sa survie. Pour autant, mieux vaut éviter de trop s’empiffrer de sushis: nettement moins menacé, le thon jaune est tout de même classé «bientôt menacé» par l’UICN.
La bonite dans la boîte de thon
Au rayon poissonnerie des grands distributeurs, c’est de nouveau le thon jaune qu’on retrouve sur les étals. Quant au thon en boîte, c’est une autre affaire. Deux espèces se partagent le contenu des conserves: les produits les plus chers contiennent généralement du thon blanc, ou germon, lui aussi classé «bientôt menacé». Quant à l’écrasante majorité des boîtes étiquetées simplement «thon» ou «thon rose», elles contiennent en réalité… de la bonite à ventre rayé, une espèce proche, mais qui ne fait pas partie du même genre biologique! Difficile, toutefois, de s’élever contre cette supercherie: ce poisson – l’un des plus pêchés du monde – est l’un des rares à ne pas être menacé à l’heure actuelle.
Vincent Cherpillod