Le vocabulaire romand est riche en tournures et autres mots qui s’écartent du français de référence. Certains sont bien connus et utilisés en connaissance de cause: nonante, carnotzet ou encore bobet en font partie, de même qu’un grand nombre de termes dérivés des différents patois cantonaux. D’autres sont en revanche plus difficiles à identifier, au point d’être employés sans être perçus comme des régionalismes: autogoal, giratoire, carrousel ou encore le verbe agender ne font, par exemple, pas partie du français «officiel»!
Contrairement à une idée reçue, tous ces mots ne dérivent pas d’un patois ou de l’allemand, loin s’en faut. Une bonne moitié est d’ailleurs comprise et utilisée dans les autres pays à minorité francophone (Belgique, Canada) ainsi que dans certaines régions de France.
A l’écrit aussi?
Dans le domaine de l’alimentaire et du ménage, les régionalismes se bousculent. Les grands distributeurs suisses sont-ils sensibles à ces particularités romandes? «Lorsque le français de référence est concurrencé par un terme romand, on favorise ce dernier», nous ont-ils tous répondu en chœur. Mais tiennent-ils réellement leurs promesses? Nous l’avons vérifié en passant sous la loupe les étiquettes des rayonnages de plusieurs magasins du canton de Vaud ainsi que les tous-ménages distribués par les grandes enseignes (voir tableau).
Yogourts en action
Force est de constater qu’on est déçu en bien à l’heure du verdict! La plupart des magasins jouent le jeu, surtout pour les denrées alimentaires. Y compris chez les discounters Denner, Aldi et Lidl. Yogourts, pruneaux, saucisses de Vienne, pain mi-blanc et cornettes s’affichent sans concurrence sur les étals. Les raisinets font presque un carton plein, puisque seul Globus leur préfère «groseilles rouges» du français de référence. Même succès quasi total pour le rampon, les zwieback et les cornets vanille.
Plus de controverse en revanche du côté du chocolat, puisque Manor est la seule enseigne qui parle de plaques plutôt que de tablettes. La graphie romande «calamar» peine aussi à s’imposer, les deux tiers des grandes surfaces choisissant l’orthographe «calmar» qui s’est imposée en France. Pour les «petits fruits» en revanche, c’est l’échec: on se contentera d’en commander une coupe recouverte de double crème sur la terrasse d’un restaurant d’alpage, puisque les magasins lui préfèrent le terme «baies rouges». Plus étonnant, car très courant à l’oral en Suisse romande, le nom «thé froid» n’apparaît pas sur un seul étal. Comme en France, il est écrasé par l’anglicisme «ice tea».
La panosse recalée
La présence des régionalismes se fait cependant plus discrète du côté des objets du ménage* et du quotidien, en dépit des promesses des magasins. Seule la lavette triomphe partout, de même que le duvet, qui ne laisse aucune chance à la couette ou à l’édredon. Manor ose même le double helvétisme «fourre de duvet», alors que Coop alterne entre fourre et parure de lit. Plus timorée, Migros n’ose cependant pas «ramassoire» et lui préfère pelle, contrairement à la plupart de ses concurrents.
Le linge avance, lui, en ordre dispersé: le très français «serviette de toilette» lui résiste tant à Globus qu’à Manor, cette dernière allant d’ailleurs jusqu’à préférer torchon à linge de cuisine pour certains de ses articles. Même flou artistique pour papier ménage et sous-tasse, qui peuvent avoir plusieurs appellations dans une même enseigne. Quant à la patte et la panosse, trop emblématiques, elles sont écartées comme des malpropres par tous les magasins, de même que le foehn, pourtant malin.
Vincent Cherpillod
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