«Je travaille de nuit durant le week-end. Avec un taxi normal, je paierais près de 30 fr., pour rentrer chez moi dans les hauts de Lausanne depuis le centre-ville. Si j’appelle une voiture pirate, cela ne me coûte que 10 fr.», témoigne Pascal*. Comme d’autres, il fait parfois appel à ces particuliers qui s’improvisent chauffeurs de taxi avec leur véhicule banalisé en cassant les prix.
A Lausanne, ils seraient en tout cas une dizaine à arrondir ainsi leur fin de mois et près d’une trentaine à Genève. Le phénomène tendrait même à déborder des grandes agglomérations romandes touchant des villes plus petites et des manifestations publiques, comme la Fête des vendanges de Neuchâtel ou même d’Auvernier (NE), affirme Patrick Favre, président de l’association faîtière Taxisuisse.
Activité illégale
S’ils proposent parfois spontanément leurs services, les «pirates» sont avant tout atteignables par leur numéro de portable qui circule sous le manteau. Et cela semble plutôt bien fonctionner, au vu du nombre d’appels que notre chauffeur a reçu via son kit mains libres lorsque nous avons fait une course nocturne à travers Lausanne. Un succès clandestin qui n’est pas vraiment surprenant, si l’on songe au prix souvent forfaitaire de la course, soit 10 fr. ou 20 fr., selon sa longueur. En définitive, le trajet est souvent deux, voire trois fois moins cher qu’avec un taxi normal.
Petit problème: c’est illégal. «Toute activité s’apparentant à celle du taxi est strictement interdite aux personnes qui ne disposent pas des autorisations ad hoc. Il faut répondre à un certain nombre d’exigences légales qui tiennent aussi bien à l’équipement des véhicules qu’au contrôle du chauffeur, lequel doit disposer d’un casier judiciaire vierge, d’un permis de conduire professionnel et d’un permis cantonal ou communal de chauffeur de taxi», explique l’avocat Jacques Roulet, qui représente le milieu professionnel à Genève depuis 25 ans.
Que risquent les clients?
Théoriquement, les conducteurs pirates s’exposent à une amende pouvant atteindre plusieurs milliers de francs, mais encore faut-il prouver le délit (lire encadré). Et, pour cela, le témoignage du client est indispensable, ce qui, on s’en doute, ne va pas de soi.
«Le client lui-même ne risque rien au niveau pénal, même pas une contravention», explique le sergent-major Gloor, de la brigade des taxis de Lausanne. Et, en cas d’accident, Jürg Thalmann, porte-parole de La Mobilière, se veut plutôt rassurant: «Il n’y aura pas de souci en termes d’assurance si un passager est blessé. Les salariés sont assurés à titre obligatoire contre les accidents, y compris ceux non professionnels. Les personnes non salariées, comme les étudiants, par exemple, devraient avoir une couverture accidents dans le cadre de l’assurance maladie qui est obligatoire. Si ce n’est pas le cas, elles seront couvertes par la RC de la voiture.»
A la brigade des taxis de Lausanne, on est un peu moins positif: «Ces personnes qui s’improvisent chauffeurs de taxi sont souvent financièrement dans le besoin. Certains roulent peut-être sans couverture RC, ce qui peut entraîner un imbroglio juridique si les clients n’ont pas de couverture accident et que l’assurance se retourne contre un chauffeur insolvable», souligne le sergent-major Gloor.
Il y a encore un autre risque à prendre en compte: le client ne sait pas forcément à qui il a affaire. Si aucun de nos interlocuteurs n’a fait mention d’anecdotes morbides, certains se seraient tout de même fait arnaquer sur les prix des courses, selon Patrick Favre. Et au- delà, le président de Taxisuisse évoque un aspect éthique: «Ces conducteurs pirates ne déclarent pas leurs revenus et ne paient donc aucune charge sociale. Leurs clients devraient se demander s’il est vraiment correct d’encourager cette activité, alors que les chauffeurs de taxis, eux, paient des taxes pour exercer leur métier et des impôts sur leurs revenus.»
Sébastien Sautebin
*Prénom d’emprunt.
Dans le détail
La rémunération doit être effective
Pour qu’un chauffeur de taxi pirate soit sanctionné, il faut pouvoir prouver qu’il a fait du transport professionnel de personnes. «La notion de «professionnel» implique notamment que l’activité soit régulière – deux fois au moins en l’espace de 16 jours – et que les courses payées engendrent une rémunération effective pour le conducteur», précise le sergent-major Gloor. En d’autres termes, il faut démontrer que le montant reçu excède le coût effectif du trajet. Si ces conditions ne sont pas réunies, il s’agit plutôt de covoiturage, qui est une pratique légale. «De mon point de vue, cela ne peut toutefois être admis que si le chauffeur effectue la course pour lui-même et non dans la seule intention de transporter un tiers», précise Jacques Roulet.